À la cantine – années 1960
Qui n’a pas, au moins une fois dans sa vie, déjeuné à la cantine ? Elle a connu de nombreuses évolutions à travers les âges. Depuis le XIXe siècle, elle focalise des enjeux sociétaux régulièrement questionnés. Voici, pour les nostalgiques ou les curieux, un petit décryptage de la photo.
De l’assiette au bon Français
Les premiers lieux de repas organisés et pris à plusieurs sont en France, selon les historiens, les réfectoires des religieux chrétiens et ceux de leurs élèves. Les nourritures terrestres vont de pair avec les spirituelles : on mange soit en silence, soit à l’écoute d’une lecture biblique.
Au XIXe siècle, les cantines assurent parfois le seul repas journalier d’une majorité d’enfants pauvres. De fait, elles garantissent une assiduité scolaire que la misère rend aléatoire : les enfants travaillent dès la prime enfance pour gagner leur pain quotidien. Pour eux et leurs familles, l’école passe au second plan.
Début XXe et jusqu’aux années 1950, les cantines françaises favorisent l’apprentissage du bien vivre ensemble. Hygiène, savoir-être et nutrition sont l’objet de nouvelles préoccupations.
L’alcool à table
Fin XIXe, l’alcoolisme est un fléau. On habitue les nourrissons dès la naissance, en leur faisant goûter, dans certaines campagnes, du vin coupé d’eau et additionné de sucre. Le lait de vache est parfois augmenté de quelques gouttes d’eau de vie. Les vertus soporifiques de ces biberons permettent aux mères de laisser leurs bébés seuls à la maison. Leur silence ne laisse pas imaginer leur présence…
En 1895, Raymond Poincaré, alors ministre de l’instruction, lance un programme destiné à instruire les enfants sur les dangers de l’alcool.
En 1896, dans un hôpital de Rouen, on étudie à quel âge 53 enfants ont été initiés au café-eau-de-vie. Le résultat est édifiant : 2 en ont reçu avant 1 mois, 4 à 3 mois, 2 à 5 mois, 5 à 8 mois, 1 à 10 mois, 5 à 18 mois, 19 à 20 mois, 15 à 1 an et 19 à 3 ans !!!
Jusqu’en août 1956, les enfants ont droit à un demi-litre de vin, de cidre ou de bière. Après cette date l’Éducation nationale interdit, dans les cantines scolaires, toute boisson alcoolisée pour les moins de 14 ans.
Jusqu’en 1981, les 15 ans et plus peuvent boire un alcool à 3 degrés ou du vin coupé d’eau à raison d’un huitième de litre.
Car oui, sur la table, ce sont bien des bouteilles de vin…
Une vaisselle signature
Sur la table, des couverts et une cruche en inox, des assiettes en céramique. Les serviettes nouées de deux habitués se passent du rond qui en indique les propriétaires. Serviettes en coton sergé, souvent, pour cacher les taches, bien loin des carrés monogrammés. Tout un ensemble à prix modique, dans un esprit de collectivisme, où efficacité rime avec solidité et durabilité.
Il y a les salières-poivrières qu’on remplit au fur et à mesure et qu’on dévisse à moitié aussi, pour faire de mauvaises blagues… Celle posée sur la table attend son tour.
Les gobelets sont en verre trempé. Le « Gigogne » de chez Duralex devient un verre emblématique du design industriel. Créé en 1946, il figure en 2007 à Paris au Musée des Arts Décoratifs dans l’exposition intitulée « Éditer le design ».
Le verre « Picardie » de Duralex est vendu sur le site du MoMa Store, la boutique du Museum of Modern Art de New York.
Tous les enfants passés par une cantine depuis la seconde moitié du XXe siècle ont probablement connu ce type de vaisselle.
On s’amuse à dire son âge du jour en lisant le numéro inscrit au fond du verre. Chez Duralex, on ne dépasse pas 50. Chaque machine de presse possède un numéro signature…
La tête dans les étoiles, les fesses sur… Stella
On les connait, on les a vues et revues. Pourtant, qui sait nommer le fabricant de ces fameuses chaises vintage à tubulure métallique ?
Léon Ruisseau lance « Ateliers de la Chaise Stella » en 1922 Labruguière (Tarn).
Ses créations sont principalement éditées en petites et moyennes séries, grâce à des machines-outils. Leurs prix sont ainsi accessibles aux collectivités.
Les finitions, d’une rare qualité, ont assuré leur durabilité : du bois de hêtre, des tenons, des mortaises et… un brevet d’assemblage garantissant un siège « indislocable ». En effet, là où les sièges chevillés vrillent avec le temps, les Stella résistent vaillamment.
Les publicités annoncent : « Un siège Stella durera », « Stella – La chaise indislocable », « Les sièges Stella résistent à Tout »… Leur résistance à l’usage intensif de générations d’élèves, en classe et à la cantine, l’attestent.
En 1981 l’usine est relocalisée à Mazamet par le groupe Montlaur. Depuis 2018, Stella est une marque du marchand de meubles design ACORH.
Le temps, juste avant
On s’agite dans les cuisines, charlottes sur la tête. On pousse, sur des chariots rectangulaires à plateaux en inox, le service du repas. Des employés à sabots blancs anti-dérapants s’activent. Pas le temps de faire dans le détail.
Bientôt la sonnerie va retentir, signal d’une galopade suivie de l’invariable question : « qu’est-ce-qu’on-mange ? ». Un sujet de conversation…
Il y aura la bataille de petits pois, des boulettes de mie de pain mou, du chahut, du brouhaha.
Dans cette cacophonie, la voix puissante d’un surveillant rappelle à l’ordre et au calme. Avec des heures de colle distribuées et parfois des oreilles tirées (selon les époques).
« Tiens ! Passe-moi le plat ! »