Le monastère cistercien de Maulbronn – Allemagne

Rafraîchissant en été, glacial en hiver. À une heure et demie de route au nord-est de Strasbourg, Maulbronn conserve l’un des plus anciens, des plus beaux et des plus importants ensembles monastiques en Europe du nord. Il est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Fondé au XIIe siècle, il accueille encore aujourd’hui un établissement scolaire.

Abbaye Maulbronn
Façade principale © D’Alsace et d’ailleurs

Une fondation rhénane

En 1133, dans le duché de Souabe, une douzaine de moines part de labbaye cistercienne de Lucelle (68). Ils construisent le monastère Notre-Dame de Neubourg (67) près de Dauendorf sur un terrain offert par le comte Reinbold de Lutzelbourg (57).

Richement dotée, – le premier abbé de Neubourg, Ulrich, est né comte de Bourgogne et de Neuchâtel en Suisse -, l’abbaye aurait eu une des bibliothèques les mieux fournies d’Europe. Saint Bernard y aurait séjourné pour en profiter.

Le portail, dernier vestige de l’abbaye de Neubourg – propriété privée © D’Alsace et d’ailleurs

La Révolution française sonne le glas de l’abbaye : elle est détruite et les religieux sont chassés. La petite chapelle subsistant dans le jardin est démolie en 1846. Les ruines de l’édifice sont inscrites aux monuments historiques depuis 1990. Ses restes sont dispersés dans le Bas-Rhin (67) :

  • Haguenau conserve la fontaine aux Abeilles ; la chaire, le buffet d’orgue et la boiserie du chœur dans l’église Saint Nicolas ; les pierres des murs de Neubourg ont été recyclées pour ériger la clinique Saint François.
  • L’église de Rottelsheim accueille l’autel de Neubourg.
  • Le mont Sainte Odile dispose de son horloge solaire.
Horloge solaire au Mont Sainte Odile © D’Alsace et d’ailleurs

Un corps alsacien

En 1138, une douzaine de moines, accompagnés de frères laïcs et conduits par l’abbé Diether, partent de l’abbaye de Neubourg en Alsace. Ils se rendent à Eckenweiler près de Mühlacker, dans le Wurtemberg en Allemagne pour y fonder un premier monastère sur les terres offertes par le chevalier Walter von Lomersheim qui devient un frère lai ; mais le terrain ne permet pas à la communauté de vivre en autarcie.

La légende raconte que les moines cisterciens décident de fonder leur monastère à l’endroit où leur mulet s’arrêtera pour boire, ce qu’il fait près d’une source toujours existante dans le jardin du monastère. Les armes de Maulbronn figurent ce mulet qui se désaltère.

Abbaye Maulbronn
Façade principale © D’Alsace et d’ailleurs

En réalité, c’est Günther de Henneberg, évêque de Spire, qui commande à l’abbaye de Hirsau de céder le manoir de « Muhlenbrunnen » dans le land du Bade-Wurtemberg. Le site offre de l’eau et une carrière de pierres propices à une fondation monastique.

Les constructions de l’église et du cloître commencent en 1147. Un an plus tard, le pape Eugène III prend l’abbaye sous sa protection directe. L’église est consacrée en 1178.


L’eau, source de vie

Pour vivre en autarcie, les monastères cisterciens possèdent des cours d’eau – pisciculture -, des forêts – bois, gibier, baies… -, des vignobles – vin -, des prairies – agriculture et élevage – et des terrains – revenus fonciers -.

17 frères dits convers ou lais – religieux dédiés aux activités liées à l’entretien des propriétés du monastères et à l’alimentation des frères – s’activent au début du XIIe siècle dans les différents bâtiments agricoles et les granges monastiques.

Les moines construisent un réseau hydraulique sophistiqué autour du monastère dès l’installation de Maulbronn. Le calendrier de l’époque compte plus de jours maigres que de jours gras, jours pendant lesquels on mange du poisson. Ils aménagent une rétention d’eau, le Tiefer See, à 500 mètres du monastère.

Le système médiéval organise une vingtaine de pièces d’eau reliées par des fosses ou des canaux. Elles servent à désaltérer le bétail, irriguer les cultures, laver, alimenter leur moulin et leurs activités piscicoles… Les lits détournés des rivières Salzach et Blaubach servent à l’évacuation des eaux usées.

Une grande partie de ces infrastructures existe encore aujourd’hui; elles sont toujours utilisées.

Le Tiefer See, ouvert à la baignade depuis 1898, accueille une petite station nautique où on peut naviguer sur l’eau, en barque et en pédalo.


Soigner son entrée

Le margrave Ludwig Wilhelm von Baden Baden fait creuser un fossé de 86 km, la ligne d’Eppingen, entre 1695 et 1697 pour bloquer les Français. Un sentier entre Eppingen et Mühlacker offre un parcours historique sur 40 kilomètres.

Coteaux de vignes autour de l’abbaye © D’Alsace et d’ailleurs

Sur les coteaux autour de l’enceinte se trouve la vigne du monastère aujourd’hui exploitée par Frank Jaggy. Des visites assorties de dégustations sont parfois organisées. Pour y participer, il faut prendre contact avec l’administration du monastère.

© D’Alsace et d’ailleurs

L’ensemble est ceint d’une solide muraille surmontée d’un chemin de ronde ponctué de tours de guet.

Tour d’enceinte © D’Alsace et d’ailleurs

Pour accéder au monastère, il faut franchir le grand portail ouvert sur les bâtiments annexes du couvent.

Entrée principale © D’Alsace et d’ailleurs

D’époque médiévale, forge – boulangerie – moulin – grenier affichent de belles façades à colombages.

© D’Alsace et d’ailleurs
© D’Alsace et d’ailleurs
© D’Alsace et d’ailleurs

La mairie de Maulbronn est installée dans une maison à la façade rose.

© D’Alsace et d’ailleurs

Les portes du Paradis

Le portail principal et le portail sud datent de la fondation de l’église abbatiale en 1178. Leurs panneaux de sapin, les plus vieux d’Allemagne – 900 ans –, conservent des restes du parchemin peint en rouge qui les recouvraient. On aperçoit au-dessus des restes de peinture du XVIe siècle.

Porte du Paradis © D’Alsace et d’ailleurs

Les ferrures richement travaillées prennent des formes de disques solaires, de croix encerclées, de fleurs de lys ou d’oiseaux stylisés.

La porte tire son nom de la tradition selon laquelle on décorait l’entrée principale avec le thème du péché originel.

Baies romanes des galeries de la façade principale © D’Alsace et d’ailleurs

Aujourd’hui inconnu, l’architecte originaire de Bourgogne, désigné comme le « Maître du Paradis », construisant le porche entre 1210 et 1220, introduit à Maulbronn le gothique primitif du nord de la France .

Galeries de la façade principale © D’Alsace et d’ailleurs

Le porche comporte trois travées voutées dont les arches reposent sur des faisceaux de colonnes.


Au coeur de l’église

L’ensemble monastique de Maulbronn est un cadre romantique idéal pour sublimer les mariages et les photos des mariés.

Un mariage © D’Alsace et d’ailleurs

L’église initiale est vaste et sobre, répondant aux canons de la règle cistercienne dans le plus pur style roman avec des retombées d’arcs en plein cintre.

On lui ajoute plus tard une voûte de style gothique en arcs brisés.

Longue de dix travées, la nef est coupée à la sixième par un jubé pour isoler les moines des laïcs.

© D’Alsace et d’ailleurs

92 moines peuvent siéger dans des stalles richement ornées. Ici des élèves ont gravé leurs noms pour la postérité.

Le choeur est ouvert par une large baie qui illumine la nef. Elle surmonte l’autel où des hauts-reliefs, reliques d’un ancien maître-autel consacré en 1394, illustrent la Passion du Christ.

Les membres les plus éminents du couvent siègent à part, côté chevet. L’abbé possédait un banc à trois places dont il occupait le centre, encadré de part et d’autre par un diacre. L’ensemble est particulièrement ouvragé sur trois côtés.

Enfin on peut admirer une Vierge en majesté portant des restes de peinture.


Autour du cloître

Le cloître permet d’accéder aux différentes salles successives qui l’encadrent.

Il porte, côté ouest, des retombées d’arches finement sculptées de visages et d’oiseaux.

Toujours à l’ouest on rejoint le réfectoire. De style roman, ses voussures basses sont baignées d’une douce lumière.

Côté nord, construite entre 1270 et 1300, la salle capitulaire est un lieu de lecture des règles de l’ordre et de rassemblement pour discuter des affaires temporelles – gestion du domaine – et spirituelles du monastère.

Cette salle contraste par sa hauteur et ses décors colorés : les arches rehaussées de rouge soulignent les courbes du plafond dont les voûtes sont illustrées de nombreux dessins ayant pour thèmes la faune et la flore.

Ces peintures, bien conservées, sont exécutées à la craie, à l’argile rouge et à l’oxyde de fer.


La fontaine au cœur de Maulbronn

Dans l’aile nord du cloître, l’eau fraîche des montagnes jaillit dans la fontaine en face du réfectoire des moines. Ils y lavent leurs mains et y entretiennent barbes et tonsures.

Les lions cracheurs d’eau rappellent les armoiries des Hohenstaufen.

© D’Alsace et d’ailleurs

La fontaine est abritée par une chapelle de plan circulaire construite entre les XIIIe et XIVe siècles. Elle est ouverte par cinq hautes fenêtres en ogive ornées de remplages. Le corps de colombage qui la surmonte date du début du XVIIe siècle, au temps de la première école.

© D’Alsace et d’ailleurs

Les conservateurs et architectes du XIXe siècle ont parfois restitué une interprétation plutôt qu’une restauration des monuments anciens.

En 1878, l’historien d’art et conservateur du Wurtemberg pense que la fontaine abbatiale médiévale de la cour et le bassin de la chapelle n’en forment en réalité qu’une seule. Il les fait assembler. Mais seul le bassin en bronze est original dans la chapelle de la fontaine.

Figurée en traits rouges, la légende de la fondation de Maulbronn avec la mule buvant de l’eau apparaît sur la voûte.

À l’ouest du cloître s’élève un bâtiment de style gothique tardif pensé par le frère convers Konrad von Schmie et dont la voûte est éblouissante de finesse. Semblable à un long couloir, il aboutissait à l’infirmerie dans la cour est. Sur le mur du fond, sur une fresque, la Vierge à l’Enfant trône, les saints abbés Benoît de Nursie et Bernard de Clairvaux à ses pieds. On ignore l’usage précis de cette aile du cloître.

Voûte gothique © D’Alsace et d’ailleurs

Du monastère à l’établissement scolaire

Au XVIe siècle, le duc Ulrich VI de Wurtemberg a un goût prononcé pour le luxe et les plaisirs, il accable ses sujets d’impôts exorbitants. Quand il fait assassiner l’amant de sa femme, celle-ci et plusieurs chevaliers le quittent. À la mort de son protecteur, Maximilien 1er, les princes de Souabe le chassent du Wurtemberg. L’empereur lui-même le met au ban de l’Empire.

Condamné à l’exil, il agit en brigand et se convertit au protestantisme, mais par intérêt, dans l’idée de reconquérir son duché.

On observe de nombreux graffiti laissés par les étudiants © D’Alsace et d’ailleurs

En 1534, après maintes péripéties, Ulrich VI récupère le Wurtemberg dans lequel il introduit la Réforme, prétexte pour saisir les biens de l’Église. Il contraint les moines et les frères de Maulbronn à modifier leur mode de vie.

Passant de 130 moines et frères lais en 1440 à 24 en 1530, le monastère est dissout en 1537. Le couvent fuit et émigre dans un prieuré d’Alsace, Pairis (Orbey, Haut-Rhin). Pairis accueille aujourd’hui un établissement pour personnes âgées.

En 1556, le duc Christoph de Wurtemberg y crée une école traditionnelle permettant aux jeunes gens talentueux de se préparer à un diplôme universitaire.


L’incroyable Faust

Johann Georg Faust, alchimiste – guérisseur – astrologue – diseur de bonne aventure, serait né vers 1480 à Knittlingen, près de Maulbronn. Bien que certaines sources historiques le mentionnent, son existence est quasi légendaire et l’on sait peu de choses exactes sur sa vie.

Il aurait vécu à Maulbronn en 1516 où il aurait transmuté les métaux en or pour le compte de l’abbé Johann Entenfuss. Malgré cette collaboration, l’abbé est destitué de sa fonction pour mauvaise gestion du monastère.

Faust, lui, serait mort dans l’explosion d’une de ses expériences.

Sa vie inspirera de nombreux artistes dont Johann Wolfgang von Goethe.

© D’Alsace et d’ailleurs

Des pépites

Successivement, le mathématicien et astronome Johannes Kepler (1571-1630) de 1586 à 1589, puis le poète et philosophe romantique Friedrich Hölderlin (1770-1843) ont profité de l’enseignement de Maulbronn.

En 1807, l’école conventuelle devient un séminaire protestant, préparant très tôt les jeunes boursiers aux études de théologie et des langues anciennes.

Vue intérieure du cloître © D’Alsace et d’ailleurs

Le futur écrivain Hermann Hesse réussit brillamment l’examen régional et devient séminariste à Maulbronnen septembre 1891, à l’âge de 14 ans.

À son arrivée, Hermann Hesse étudie les classiques avec passion : Homère, Schiller ou Klopstock. Il travaille dur et le séminaire offre peu de distractions. En février 1892 il écrit : « Je suis heureux, joyeux et satisfait. Le ton qui règne ici me convient tout à fait ».

Pourtant en mars il s’enfuit sans raison apparente, passant une nuit glaciale dehors. Un gendarme l’arrête et le reconduit au séminaire où sa fugue est sanctionnée par huit heures de cachot. Dans les semaines suivantes, il semble dépressif et isolé au point que son père vient le chercher en mai 1892.

Hermann Hesse se servira de son passage à Maulbronn pour faire dormir, dans un dortoir, Hans Giebenrath dans L’Ornière et Josef Knecht dans Le Jeu des perles de verre. Il citera Maulbronn dans Narcisse et Goldmund comme « Mariabronn » et dans le Glasperlenspiel comme « Waldzell ».

Un magnolia ombrage le coeur du cloître © D’Alsace et d’ailleurs

Une école toujours active

Aujourd’hui, le séminaire évangélique de Maulbronn est un lycée d’État du Land de Bade-Wurtemberg doté d’un internat parrainé par l’église évangélique. Il accueille une centaine d’élèves venus de toute l’Allemagne, pour le lycée, jusqu’à l’équivalent du baccalauréat français.

Il est ouvert aux lycéens protestants dotés d’excellents résultats scolaires et intéressés par les langues anciennes, la musique et la religion.

© D’Alsace et d’ailleurs

Mixte, l’établissement accueille autant de filles que de garçons. Les cours sont assurés par des enseignants coutumiers de l’enseignement en internat. L’apprentissage scolaire y est accompagné globalement tant côté hébergement que durant les heures de cours.

Les styles roman et gothique cohabitent harmonieusement © D’Alsace et d’ailleurs

Un havre de paix

Tout est prévu pour que la visite se passe dans des conditions idéales. La fraîcheur de la fontaine extérieure ainsi qu’un restaurant encouragent à s’attarder en été pour profiter de Maulbronn dans le calme de ses alentours.

© D’Alsace et d’ailleurs

Quelques commerces accueillants incitent à la détente.

© D’Alsace et d’ailleurs
© D’Alsace et d’ailleurs

Pour aller plus loin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

error: Contenu protégé.